Vient de paraître dans la Revue Considérant
Les présidents du Mont Rushmore, Les « élus » de l’Amérique
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en voici les premières lignes
« J’ai toujours voulu faire une séquence de poursuite sur les visages des présidents du Mont Rushmore », propos d’Alfred Hitchcock, rapporté par le scénariste de La Mort aux trousses, Ernest Lehman[1].
La scène est célèbre. À la fin de La Mort aux trousses (North by Northwest en version originale), Roger Thornhill (Cary Grant) et Eve Kendall (Eva Marie-Saint) courent au milieu des têtes des présidents américains, sculptées sur le Mont Rushmore, pour échapper à des espions. Le but d’Hitchcock était de montrer la victoire de la démocratie sur l’autel de la démocratie… car telle serait la signification de ce monument.
Situé dans le Dakota du Sud, l’endroit en question est aujourd’hui un parc national qui accueille plus de 2 millions de visiteurs par an[2]. À l’origine du projet, en 1923, on trouve un historien natif de cet État, Doane Robinson, qui espère créer un lieu touristique propre à développer économiquement la région. Avant de commencer les travaux, il faut résoudre deux questions : d’une part, obtenir les autorisations nécessaires au niveau fédéral et au niveau fédéré, d’autre part, trouver les moyens de financer le projet. En 1925, l’aspect administratif est résolu. Deux ans plus tard, un budget ayant été réuni, les travaux peuvent commencer. Le projet initial prévoyait quatre sculptures monumentales représentant des portraits des présidents en pied. Le coût global étant trop important, Gutzon Borglum[3], le sculpteur, se résout à ne réaliser que des visages. Le premier livré est celui de George Washington, le 4 juillet 1930. Les trois autres sont inaugurés par le président Franklin Delano Roosevelt, le 30 août 1936 pour Thomas Jefferson, le 17 septembre 1937 pour Abraham Lincoln et le 2 juillet 1939 pour Theodore Roosevelt. Borglum meurt le 6 mars 1941, à Chicago, laissant son fils Lincoln terminer les derniers détails.
Au-delà des difficultés du travail lui-même, on peut relever plusieurs modifications significatives en ce qui concerne l’encadrement et l’organisation du monument. En 1933, Roosevelt rattache le Mont Rushmore au service des parcs nationaux, entraînant de fait la nomination d’un ingénieur, Julian Spotts, pour superviser les travaux. En retour, Borglum réussit à faire nommer une nouvelle commission avec la même compétence, en 1938, dans la perspective de retrouver une totale liberté dans la réalisation. Son but est de compléter les visages en ajoutant derrière le monument une vaste salle ouverte au public pour accueillir les grands documents de l’histoire américaine. La réaction hostile du congrès face à des dépenses supplémentaires met un terme à ce projet. Un autre aspect a été abandonné pour des raisons identiques, une sculpture qui devait comporter une liste de dates en lien avec les transformations géographiques de l’union.
Finalement, le monument comporte seulement les visages de quatre présidents, de gauche à droite : Jefferson, Washington, Roosevelt et Lincoln. Tous les quatre ont été élus pour occuper la fonction présidentielle.
Au-delà de son aspect touristique, cette immense réalisation constitue un véritable symbole aux États-Unis. Elle a été conçue pour célébrer quatre individus qui, dans l’imaginaire du pays, s’inscrivent dans une histoire commune en grande partie mythifiée.
Les sculptures du Mont Rushmore nous fournissent l’occasion idéale d’explorer l’idée d’élus aux États-Unis, non seulement au regard de l’histoire personnelle des individus et de leur contribution à la construction des États-Unis (I), mais aussi en raison de la force symbolique qu’ils représentent, en véhiculant une certaine image de ce pays (II).
[1] Donald Spoto, La Vraie vie d’Alfred Hitchcock, Ramsay, 1994, p. 420.
[2] Kate Conley, Engineering Mount Rushmore, North Star Editions, 2018, 48 p.; Alicia Z. Klepeis, Building Mount Rushmore, Cavendish Square Publishing, LLC, 2017, 32 p.; Jesse Larner, Mount Rushmore: An Icon Reconsidered, Basic Books, 2003, 304 p.; Rex Alan Smith, The Carving of Mount Rushmore, Abbeville Press, 1985, 415 p.; John Taliaferro, Great White Fathers: The Story of the Obsessive Quest to Create Mount Rushmore, PublicAffairs, 2002, 453 p.; Teresa Bergman, Exhibiting Patriotism: Creating and Contesting Interpretations of American Historic Sites, Left Coast Press Inc (15 janvier 2013), 192 p.
[3] Howard Shaff, Gutzon Borglum, Audrey Karl Shaff, Six Wars at a Time: The Life of Gutzon Borglum, Sculptor of Mt. Rushmore, Center for Western Studies, 1985, 379 p.; Willadene Price, Gutzon Borglum, artist and patriot, Rand McNally, 1972, 224 p.