Pour célébrer le centenaire de la prohibition aux Etats-Unis, mon nouvel article sur la question et son actualité (publié dans la revue Jus Vini).
en voici les premières lignes
Situé dans le comté de Grafton, dans l’État du New Hampshire, le village d’Ellsworth n’offre pas, au premier abord, un visage très différent de celui de ses voisins. Pourtant, cette petite communauté de 83 habitants est singulière dans cet État américain du Nord-est puisqu’il s’agit d’une des deux dernières localités prohibitionnistes (avec le village de Monroe – 788 habitants – situé dans le même comté)…
Loin d’être une exception, cet exemple reflète au contraire une dimension souvent méconnue du système américain en ce qui concerne le commerce et la consommation d’alcool : la persistance de la prohibition avec toutes ses conséquences.
Dans l’imaginaire collectif, la prohibition de l’alcool aux États-Unis renvoie à une période précise, les années 1920. Initiée avec le XVIIIe amendement, adopté en 1919, cette interdiction de la fabrication, du commerce et du transport de l’alcool est au cœur du système juridique jusqu’à l’adoption d’une nouvelle révision constitutionnelle, le XXIe amendement, en 1933. Trop souvent, le regard étranger s’arrête à cette dimension historique. Mais, il s’agit d’une surinterprétation du texte de 1933. De fait, l’abandon de la prohibition, qui est consacré à cette date, ne concerne que le niveau fédéral. Le niveau fédéré, étatique par conséquent, demeure en charge de la politique en la matière. Au regard de la situation actuelle, aux États-Unis, on peut difficilement parler de détail… En effet, c’est même cette origine – une révision constitutionnelle qui s’intègre dans une transformation des niveaux juridiques américains entre gouvernement fédéral et États fédérés – qui explique la rare complexité qui caractérise le système américain actuel.
Certes, il n’existe plus d’État prohibitionniste. Le dernier à avoir abandonné cette politique est le Mississippi, la décision remontant aux années 1960. Néanmoins, certains États ont choisi de laisser au niveau local la liberté d’agir. Cette première précision est loin d’épuiser le sujet, car le singulier est inadéquat : il faut parler des niveaux locaux puisque, là aussi, les réglementations et dispositions peuvent varier en fonction des États. De surcroît, les pratiques divergent, lorsqu’on examine l’application des textes et leurs conséquences. En résumé, aux États-Unis, il existe, d’un côté, des États qui ne pratiquent plus la prohibition et, de l’autre, des États qui l’autorisent au niveau des comtés, ou des municipalités, ou de certains districts, créant ainsi des zones potentiellement dry, en fonction du choix des habitants de ces régions. En pratique, on constate par conséquent la présence de comtés wet, c’est-à-dire ne pratiquant pas la prohibition, et de comtés dry, ayant choisi d’interdire la fabrication et/ou le transport et/ou le commerce de l’alcool, mais aussi la possibilité dans des comtés wet d’avoir des municipalités dry, et inversement…
Dernier point remarquable, les particularismes ne s’arrêtent pas là car les réglementations, qu’elles soient locales ou étatiques, peuvent facilement être qualifiées d’instables. Pour ne prendre que deux exemples, dans les années récentes, deux Etats ont lancé des procédures pour mettre fin aux prohibitions locales. En Arkansas, en 2014, le référendum qui devait valider cette mutation s’est soldé par un échec. A l’inverse, en 2015, le congrès du Wisconsin a officiellement tourné la page de la prohibition.
Le dessein de cet article est de présenter un tableau le plus fidèle possible des dispositions actuellement en application[1]. Dans cette optique, nous avons choisi d’insister sur une caractéristique majeure, l’écart entre la théorie – ce que les textes prévoient, ce qui conduit à mettre en exergue une première série de particularités (I) – et la pratique, qui révèle une étonnante complexité juridique, teintée parfois d’incertitudes (II).
[1] Les principales sources de cet article se trouvent dans les textes des différents Etats (le site https://law.justia.com/codes/ est à ce titre précieux). On notera l'importance des sources numériques en ce qui concerne l'accès. Les sites officiels des Etats fournissent des documents de mise à jour et des mises en perspective. Ceci s'explique d'autant plus en raison du caractère très changeant des dispositions et des différences étatiques… D'autres éléments sont issus de la presse étatique ou locale, pour rendre compte des évolutions en cours. D'un point de vue général, sur l'alcool aux Etats-Unis, on peut consulter entre autres Scott C. Martin, The SAGE Encyclopedia of Alcohol: Social, Cultural, and Historical Perspectives, SAGE Publications, 2014, 1704 p.; et les deux livres de Richard P. Mendelson, From Demon to Darling, a Legal History of Wine in America, University of California Press, 2009, 300 p.; Wine Law in America: Law and Policy, Wolters Kluwer Law & Business, 2014, 512 p.