Une contribution publiée dans un ouvrage commun :
Un portrait naturaliste du Code civil, Les Rougon-Macquart d’Émile Zola
Paru dans Le Code en toutes lettres, écriture et réécritures du code civil au XIXe siècle, Classiques garnier, 2020
https://classiques-garnier.com/le-code-en-toutes-lettres-ecriture-et-reecritures-du-code-civil-au-xixe-siecle.html
Premières lignes de la contribution:
Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire forment une vaste fresque rédigée par Zola entre 1871 et 1893. 20 romans illustrent les péripéties vécues par différents membres de cette famille. Qu’il s’agisse du monde paysan ou du monde ouvrier, d’une histoire de village ou de la vie d’une ville, d’une déchéance personnelle ou de la destruction d’une famille, le contenu est fréquemment pessimiste et sombre tout en incarnant une part importante du mouvement naturaliste.
Nous avons choisi le terme portrait dans le titre de cette contribution à dessein : l’histoire du mot naturalisme connaît un tournant au milieu du xixe siècle avec un transfert vers le monde de la peinture. En 1863, un critique d’art, Jules Antoine Castagnary, évoque l’existence d’une école naturaliste en ces termes :
« L’art est l’expression de la vie sous tous ses modes et à tous ses degrés, et son unique but est de reproduire la nature en l’amenant à son maximum de puissance et d’intensité : c’est la vérité s’équilibrant avec la science »[1].
La formule s’applique parfaitement au portrait littéraire de la société que Zola souhaite réaliser par l’intermédiaire de ses 20 romans. Cette logique apparaît dès les premières lignes de la préface du premier roman. À ce titre, on constate que l’œuvre dans son ensemble est pensée dès le départ dans une forme d’intégralité. Il s’agit d’évoquer une famille mais dans un dessein spécifique que l’auteur présente.
« Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d'êtres, se comporte dans une société, en s'épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus, qui paraissent, au premier coup d'œil, profondément dissemblables, mais que l'analyse montre intimement liés les uns aux autres. L'hérédité a ses lois, comme la pesanteur.
Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d'un homme à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand j'aurai entre les mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à l'œuvre, comme acteur d'une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j'analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l'ensemble »[2].
La logique de Zola, d’abord et avant tout scientifique, se fonde sur des règles, biologiques et sociales, qui gouverneraient la société. Les Rougon-Macquart ont donc été rédigés pour offrir une démonstration scientifique.
Or, dans de nombreux romans, le droit intervient, parfois de manière liminaire, parfois de manière principale. Un texte est même fréquemment évoqué, le code civil[3]. Sans parfois de références précises, le code apparaît au cours de l’action, pour appuyer tel ou tel raisonnement, ou pour servir de cadre général.
L’objet de la présente contribution est de montrer que, au-delà de la simple utilisation romanesque du code civil (I), le document est utilisé par Zola dans un dessein beaucoup plus général qui intègre la dimension juridique dans la perspective naturaliste (II).
[1] Pagès, Alain, Pottier, Jean-Michel, Les Soirées de Médan (Émile Zola, Guy de Maupassant, Joris-Karl Huysmans, Paul Alexis, Léon Hennique, Henry Céard), Paris, Flammarion, 2015, 367 p.; p. ix.
[2] Zola, Émile, La Fortune des Rougon (1871), Paris, G. Charpentier, 1879, 385 p. ; préface p. 1.
[3] Code civil des Français, de l’imprimerie de la République, 1804, 579 p.