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6 mai 2025 2 06 /05 /mai /2025 07:31

« Dystopie, droit et bande dessinée, le Piège diabolique de Jacobs », in Les Dystopies et le droit, sous la direction d’Emilie Gicquiaud, Mare et Martin, 2022, p. 301-312.

 

Revisitant le voyage dans le temps, le dessinateur belge Edgar P. Jacobs nous offre avec Le Piège diabolique une occasion de nous plonger dans une dystopie.

La première planche est publiée dans le Journal Tintin le 22 septembre 1960. Achevée le 21 novembre 1961, la bande dessinée sort sous la forme d’un album en septembre 1962. Il s’agit du sixième volume des Aventures de Blake et Mortimer.

C’est au tournant de la Seconde Guerre mondiale que Jacobs abandonne une première carrière d’artiste – son rêve était de devenir baryton – pour intégrer le monde alors très décrié de la bande dessinée[1]. Après une première collaboration dans un magazine, Bravo !, et la création d’une œuvre d’anticipation, Le Rayon U, le dessinateur commence à travailler avec Hergé sur la modernisation des anciens albums de Tintin, puis sur les scénarii de nouvelles histoires. Il apprend à manier les outils de cette profession, les récitatifs (des phrases placées en haut des cases pour fixer la temporalité ou rappeler l’action), les phylactères (autre nom des bulles) ou encore les cases dont l’organisation obéit à des règles précises.

La fin de la guerre est synonyme de déstabilisation pour Hergé. Poursuivi en raison de son travail au sein d’un journal fidèle aux Allemands, il ne doit son salut qu’à l’intervention d’un résistant, Raymond Leblanc, passionné par Tintin, qui souhaite créer un journal à destination des plus jeunes. Constituant une équipe, Hergé se tourne vers son assistant, Jacobs, pour lui proposer d’intervenir, d’abord en illustrant La Guerre des mondes d’H.G. Wells, ensuite en créant sa propre histoire, une intrigue contemporaine imaginant une troisième guerre mondiale, Le Secret de l’espadon. C’est la naissance de Blake et Mortimer.

Dans les années qui suivent, les histoires se succèdent dans les colonnes du Journal Tintin, Le Mystère de la grande pyramide entre mars 1950 et mai 1952, La Marque jaune entre août 1953 et novembre 1954, L’Enigme de l’Atlantide, entre octobre 1955 et décembre 1956, et S.O.S. Météores entre janvier 1958 et avril 1959.

Suite de S.O.S. Météores, Le Piège diabolique reprend l’un de ses personnages, un scientifique dévoyé, créateur d’une machine qui perturbait la météo, Miloch. Ce savant, travaillant pour l’Europe de l’Est dans le but de préparer une invasion, est gravement irradié à la fin de l’aventure. Le Piège diabolique commence avec l’annonce de son décès et de son héritage : il laisse à Mortimer une maison située à la Roche-Guyon et sa dernière invention… Le savant écossais décide de se rendre seul dans cette demeure. Dans les caves, il découvre une machine à voyager dans le temps et se lance dans un périple à travers les siècles. Après plusieurs péripéties, liées au fait que Miloch a saboté la machine pour rendre les bonds dans le temps aléatoires, espérant se venger de Mortimer, celui-ci parvient à revenir à son époque, faisant exploser au passage le dernier piège de son adversaire qui avait miné son laboratoire.

Le Piège diabolique est un album singulier. Il se distingue des autres aventures de Blake et Mortimer, en premier lieu, par son thème, le voyage dans le temps ; nous sommes loin du réalisme revendiqué par Jacobs lors de ses débuts dans Tintin. Il est particulier, en second lieu, en raison de l’isolement de Mortimer ; dans cette histoire, le capitaine Francis Blake s’efface complètement pour laisser son acolyte seul en scène. Enfin, la construction de l’histoire détonne puisqu’il n’y a pas une intrigue mais trois, la première se déroule durant la Préhistoire, Mortimer se retrouvant en face-à-face avec des dinosaures, la deuxième au cœur du Moyen Âge et la troisième dans un LIe siècle imaginaire…

La description de cet avenir, plutôt atroce dans ses détails, appartient au domaine des dystopies, ces récits fictionnels qui reposent sur un monde utopique sombre et décalé. Le scénario en reprend les clés en donnant à voir au lecteur les conséquences extrêmes des actions humaines en matière juridique et politique (I). Mais ce scénario est au service d’une bande dessinée, d’une mise en images. La technique, les choix de formes et de couleurs ainsi que la construction inscrivent cette dystopie dans une perspective permettant de lier droit et bande dessinée (II).

 

[1] Pour une biographie de Jacobs, on peut consulter François Rivière, Benoît Mouchart, La Damnation d'Edgar P. Jacobs, Le Seuil, 2003, 335 p. Les études de l’œuvre sont nombreuses ; on signalera Claude Le Gallo, Daniel Van Kerckove, Le Monde d'Edgard P. Jacobs, Le Lombard, 2004, 176 p.; Pierre Fresnault-Deruelle, Edgar P. Jacobs ou l'image inquiétée, PU François Rabelais, 1er édition 2017, 251 p.; Michel Claessens, Liam Fauchard, Edgard P. Jacobs ou le Futur Immédiat, Les Acteurs du savoir, 2019, 176 p. et notre ouvrage, Edgar P. Jacobs et les dess(e)ins du droit, la justice éclairée par Blake et Mortimer, Mare et Martin, 2021, 250 p.

 

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