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17 avril 2010 6 17 /04 /avril /2010 07:13

 

Cet article reprend une intervention faite au cours

de la troisième journée d'études

des Cahiers Rémois Annuels de Droit et Politique

Etrangers et Comparés.

Consacrée aux grands juristes, cette journée fera l'objet

d'une publication prochainement.

 

extrait:

Si l'on se place sur le terrain du droit étranger, la recherche fait immédiatement émettre un premier constat : le regard que nous posons sur l'histoire et sur la construction juridique d'un autre pays est inévitablement faussé, voire caricatural, en raison d’un désir légitime de synthèse. Dans l'exemple qui nous occupe, la personnalité que nous nous proposons d'étudier a vécu durant la période révolutionnaire américaine. Or, sur ce point précis, notre analyse française est fréquemment trop restrictive, puisqu'elle tend à limiter les débats et leur importance, pour leur préférer une approche plus générale et plus consensuelle. Dans cette perspective, on peut relever dans les ouvrages français quelques éléments sur la période dite fédéraliste, c'est-à-dire entre 1787 et 1800, puis une analyse, certes fouillée et précise, mais au fond orientée, des années 1800 à 1830. Cette relecture, sans être erronée, n’est que parcellaire et rend très imparfaitement compte de la réalité américaine de cette époque. Dans ce cadre, examiner la vie et l'œuvre d'un des acteurs américains implique de revenir sur les détails de cette histoire pour en comprendre toutes les finalités et peut-être aussi tous les silences.

Dans cette optique, sans être totalement inconnu, le nom de James Kent occupe une place restreinte dans la pensée juridique française. Seuls, quelques travaux spécialisés en droit américain l’évoquent, au demeurant dans une dimension souvent historique ou juridictionnelle. Pourtant, il fut un grand praticien, successivement avocat, juge, président, puis Chancelier de la Haute Cour de New York. Il a marqué son époque et surtout contribué à l'essor et au développement d'un véritable droit américain[1]. Mais, Kent est aussi un fédéraliste. Derrière ce dernier terme se cache un des paradoxes de l'histoire américaine. Pour le comprendre, il faut ouvrir une parenthèse et revenir sur les premières décennies de la république d'outre-atlantique.

Né en 1763, Kent voit se dérouler sa carrière au milieu des événements majeurs de l'indépendance, puis de la construction constitutionnelle des États-Unis d'Amérique. Ceci fournit une première explication à son relatif oubli. Pour passer à la postérité, à cette époque, il faut allier une connaissance politique, nécessaire, à une action politique majeure, ce que Kent refuse très tôt. Néanmoins, cette dimension historique à une autre conséquence. Les débats majeurs qui se succèdent impliquent la formation de partis opposés dont l'un est victorieux. Les années 1787-1789 symbolisent, outre le moment constituant américain, l'affrontement entre partisans et adversaires de la nouvelle constitution. Durant les années qui suivent, le théâtre politique retentit d'une nouvelle lutte, cette fois entre partisans d'un pouvoir fédéral fort, presque unitaire, les fédéralistes, et défenseurs d'une relative autonomie étatique, les républicains, surnommés par leurs ennemis les démocrates, en raison du lien de certains d'entre eux avec le peuple et les revendications du suffrage universel. En 1801, la victoire de Jefferson aux présidentielles consacre celles des républicains ; les fédéralistes, toujours présents, vont peu à peu perdre leur soutien et, devenus minoritaires, n’influeront plus réellement sur le cours des événements[2]. La guerre contre l'Angleterre, entre 1812 et 1814, voulue par le président républicain Madison, sera le dernier combat des fédéralistes, pacifistes. Les républicains au pouvoir adoptent au passage une partie de la vision fédéraliste (en développant l'État fédéral), tout en accentuant le lien avec le peuple jusqu'à l'adoption de constitutions étatiques démocratiques. En 1824, le parti républicain démocrate se scinde entre partisans d'un État fort mais limité démocratiquement les républicains, et défenseurs du suffrage universel, les démocrates. Le point culminant de cette évolution est la victoire de ce dernier courant avec l'élection du général Andrew Jackson à la présidence en 1828. Signalons au passage que cette élection marque les esprits aux États-Unis en raison de son contexte. En 1824, Jackson était arrivé en tête à la précédente présidentielle. Cependant, sa majorité étant seulement relative, le choix présidentiel avait été laissé au congrès qui avait préféré le second candidat, pour éviter Jackson. La victoire de 1828 est donc celle des démocrates, c'est-à-dire du suffrage universel.

Ces quelques repères historiques permettent de replacer globalement James Kent dans l'histoire de son pays. Rappelons qu'il est né en 1763, c'est-à-dire dans la colonie anglaise. Il suit des études de droit à Yale et obtient son diplôme en 1781. A cette date, il n’existe pas d’écoles d’avocat. La profession fonctionne sur le mode de la cooptation et de l'apprentissage. Grâce à son père, Kent est accepté dans le cabinet d’Egbert Benson (qui deviendra Attorney General de l'État de New York). Rapidement, il fait ses preuves et intègre le barreau en 1785. Il s'installe à Poughkeepsie, à côté de New York à cette date. Élu membre de la chambre de New York en 1790, il reste jusqu'en 1794. Puis, grâce à des appuis politiques, il occupe le poste de Master in Chancery en 1796, recorder (c'est-à-dire avocat occupant des fonctions de juge) l'année suivante, avant d'être nommé juge à partir du 6 février 1798. Il devient président de la Haute Cour de New York en 1804 et le restera jusqu'en 1814, date à laquelle il est nommé Chancelier de cette même cour. En 1823, il part en retraite forcée, donne des cours de droit et rédige ce qui restera son œuvre majeure, les Commentaries on American Law entre 1826 et 1830. Il meurt en 1847.

Cette rapide biographie met en exergue une coïncidence de dates, le départ de la vie publique et l'arrivée au pouvoir des républicains démocrates, tenants du suffrage universel, avec Jackson. C'est sans doute une explication centrale du relatif oubli qui entoure les travaux et la réflexion de James Kent. Les Commentaires sur le droit américain de Kent sont le résultat d'une expérience juridique, fondée sur un ensemble d'acquis. Leur relecture permet de souligner les deux aspects du travail de Kent : au travers de ces pages, on découvre à la fois un juriste brillant qui a contribué à la naissance d’un droit américain, fondé sur un Common Law revisité (I), et un constitutionnaliste, certes érudit, mais politiquement engagé ce qui a conduit à minimiser cette face de sa réflexion (II).



[1] Sur Kent, un seul ouvrage en langue française , J. de Cazotte, Une révolution réussie, le juge James Kent 1763 1847, à l'aube de la nation américaine, Maisonneuve et Larose, 1995, 310 p. Les travaux américains sont en revanche très nombreux : on citera John T. Horton, a Study in conservatism, 1763-1847, New-York, Appleton-century, pour les ouvrages et un article de Judith S. Kaye, Chief Justice of New-York, « Commentaries on Chancellor Kent », in Symposium Commemorating the Twohundredth anniversary of Chancellor Kent’s Ascension to the Bench, publié par la Chicago-Kent Law Review, 1998, vol. 74, 1. Les publications de sources comportent en particulier les mémoires et lettres de James Kent édités par son fils William, Memoirs and Letters of James Kent, Late Chancellor of the state of New-York, Little Brown Company, 1898, 341 p.

[2] Sur ces questions, J. S. Bassett, Th Federalist System, 1789-1801, BiblioBazaar, LLC, 2008, 360 p. ; J.H. Read, Power versus Liberty : Madison, Hamilton, Wilson and Jefferson,  University of Virginia Press, 2000, 201 p. et B. Mitchell, Alexander Hamilton, The National Adventure, 1788-1804, New-York, The Macmillan Company, 1962, 807 p.

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